mon frère est un grand bonhomme, un vrai serviteur de la république ,viscéralement attaché a notre démocratie et a la mise en oeuvre de la constitution,a des années lumières de tous les extrêmes
il vient d'écrire un billet sur les fameuses listes communautaristes qui se profilent a l'horizon des élections municipales,j'avais la conviction qu'interdire était malsain pour la démocratie,son regard invite à réfléchir ,c'est pourquoi je me permets de le partager avec vous
a mes yeux,comme l'immigration,c'est un débat qu'il ne faut pas abandonner aux partis car ils en font un argument électoral plutôt qu'un enjeu de société et de notre démocratie ,j'ai encore en tête un futur candidat a la présidence de la république m'avouant au coin de l'oreille qu'il ne se sentait pas obligé de penser tout ce qu'il disait... ,juste triste,c'est pourquoi avant que le tam tam électoraliste ne frappe et nous assourdisse ,il me semble utile d'avoir une reflexion dépassionnée
Le moment est venu de dire non aux listes communautaristes
En 1791, présentant la loi sur l’émancipation des juifs, Stanislas de Clermont-Tonnerre déclarait : « Il faut tout leur refuser en tant que nation ; tout leur accorder comme individus ». Cette formule contient toute la conception républicaine de l’égalité des droits, de la souveraineté de la Nation et de l’unicité du peuple français. Elle sous-tend les plus fondatrices de nos dispositions constitutionnelles.
Ainsi, selon l’article 1er de la Constitution de la Vème république : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion….». En vertu de son article 3, « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum./ Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice …». L’article 4 dispose pour sa part que « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie …».
Ces dispositions doivent être rapprochées :
- Des articles 1er, 3, 6 et 10 de la Déclaration de 1789 (égalité en droits de tous les hommes, les distinctions ne pouvant être fondées que sur l’utilité commune ; égale admissibilité aux dignités, places et emplois publics sous le seul critère des vertus et des talents ; exclusion de l’autorité de tout corps qui n’émanerait pas de la Nation ; liberté d’opinion « même religieuse » sous la réserve de l’ordre public) ;
- Du Préambule de la Constitution de 1946 qui énonce que : « Tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance possède des droits inaliénables et sacrés (…) ; La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme (…) ; Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ; (…). L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État ».
Le Conseil constitutionnel a tiré des conséquences majeures de ces dispositions. Il a notamment estimé qu’il en découlait un principe d’unicité du peuple français et jugé que « Les principes d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance" (décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires).
De même, à propos du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004), il a considéré que « Les dispositions de l'article 1er de la Constitution, aux termes desquelles « la France est une République laïque », interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Le principe de laïcité, a-t-il ajouté par la suite, est un élément inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, que le droit européen ne saurait remettre en cause (n° 2004-505 DC, combinée avec la jurisprudence sur le respect du droit de l’Union européenne : 2006-540 DC du 27 juillet 2006). Il figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit. « Il en résulte la neutralité de l’État ; il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte …. » (décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013).
L’égalité des droits, proclamée par l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne peut tolérer de différences de traitement, qu’elles soient favorables ou défavorables, fondées sur les origines ethniques, la religion etc. Dans l’accès aux emplois publics et aux distinctions publiques, elle ne veut d’autre différence de traitement que celle basée sur les vertus et les talents (par exemple : décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, cons. 114 et 115).
Enfin, le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement que « si députés et sénateurs sont élus au suffrage universel, chacun d'eux représente au Parlement la Nation tout entière et non la population de sa circonscription d'élection » (par exemple : décision. n° 99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009).
Cependant, une vision dévoyée de l’accueil de l’autre voudrait que soit magnifiée son identité et fustigée l’identité nationale, en partie parce que cette identité nationale est haïssable (les croisades, l’esclavage, le colonialisme…), en partie pour ne pas intimider le nouveau venu en encombrant la mémoire collective de Gaulois, de Romains et de cathédrales. De même, la vision multiculturaliste de l’accueil de l’autre est prête à admettre, dans l’ordre de la visibilité dans l’espace public, des entorses au principe de laïcité qui auraient paru inadmissibles de la part des religions anciennement installées.
Renoncer à l’intégration du nouveau venu, le couper de la mémoire du pays d’accueil en lui présentant ce legs comme étranger ou oppresseur, l’essentialiser dans une catégorie historiquement allogène, entériner socialement, culturellement et politiquement l’archipel français, seraient le pire des services à rendre aux nouveaux Français, comme à la Nation. L’affection pour la Nation, pour ses valeurs, comme pour ses usages et ses héritages, est la condition première de l’intégration. Comment le nouveau venu aimerait-il une Nation qui ne s’aimerait plus elle-même ?
Or une Nation qui sait encore s’aimer doit réapprendre à protéger juridiquement et effectivement les valeurs qui, selon ses textes fondateurs, comme selon ses traditions, fondent la vie commune. Sans tomber dans l'excès de protection certes (il ne manquerait d’ailleurs pas de forces de rappel - politiques, médiatiques et juridictionnelles - pour l’en empêcher), mais avec suffisamment de clarté et de fermeté pour émettre ce message simple et fédérateur : voici ce qui nous est commun et donc hors de portée des prétentions individuelles ou minoritaires.
Dans son expression la plus corrosive, le refus de l’unicité du peuple français prend la forme politique d’une sécession communautaire, c’est-à-dire de partis, de listes ou de candidatures se donnant pour vocation de soutenir les revendications d’une « section du peuple » (définie par l’origine ethnique ou par l’appartenance religieuse) en promouvant des vues contraires aux principes de la souveraineté nationale, de l’indivisibilité de la République ou de la laïcité. Autrement dit, en retournant les formes de la démocratie contre les fondements de la République.
Le phénomène n’est plus marginal : ici et là, les listes communautaristes se présentant aux municipales de 2014 ont tutoyé le dixième des suffrages ; aux dernières élections européennes, une liste a prétendu, par son libellé même, rassembler les musulmans de France ; dans telle ville, un candidat qui a fait ses classes dans la prédication intégriste peut espérer devenir maire l’année prochaine.
Le moment est venu pour la République de s’opposer à de tels projets, que ce soit en privant de financement public les partis et candidats qui les soutiennent, en refusant l’enregistrement des listes qui s’en réclament ou en faisant obstacle à la propagande électorale qui les promeut.
Jean-Eric Schoettl,
3 novembre 2019