C’est un mois d’avril que j’ai été nommé chevalier de la légion d’honneur, cette distinction est trop impressionnante pour que l’on puisse en plaisanter même au mois d’avril, c’est un lendemain de 14 juillet que j’apprends que madame Christine albanel, ministre de la culture, m’a fait chevalier des arts et de lettres, qui suis-je moi pour figurer au coté de ces écrivains, de ces réalisateurs de cinémas, de ces peintres de ces conservateurs de musées, qui suis-je pour me voir décerner une telle distinction ?
Dans un pays ou l’on considère, souvent a raison, que la culture est élitiste, claquemurée au sein de certains cercles fermés,réservée aux seuls germanopratins, que vient faire le barbare que je suis ?
Il y a forcément une bonne fée ou un bon mage qui se sont penchés avec complaisance et amitié sur mon cas et sur cette autre culture que j’aime et que je prône, celle que nous pouvons nous
approprier et qu’"ils" appellent avec un délicieux frisson canaille : la culture populaire. Cela va dans le même esprit que les bistrots a vin ou le saucisson- beaujolais : la culture populaire, une curiosité locale qu’il faut respecter aux yeux de certains mais sans en faire trop, cela
deviendrait vulgaire. Une distinction qui apporte la preuve que le monde de la culture peut descendre dans la rue à d’autres moments que pendant la gay pride. (Ce n’est pas de
l’homophobie bien évidemment, mais une détestation du snobisme)
En cet instant, ou chantent autour de moi les cigales, cette nouvelle me pousse à vous parler des ombres qui m’accompagnent et que cette
décoration ferait sourire, d’un sourire de tendresse.
Il y a d’abord ce prêtre défroqué qui s’appelait Jacques Cordier qui m’a fait aimer le théâtre, l’écriture et quelques auteurs allemands, je pense à Ernst Junger et « Ses falaises de
marbre » dont il nous faisait des lectures gouteuses, j’avais quatorze ans et il voulait réveiller nos papilles intellectuelles,40 ans plus tard je crois que je pourrais encore retrouver au
fond de ma mémoire des tirades entières de Ionesco.
C’était un laboureur de l’esprit, il semait avec l’énergie de celui qui n’avait pas eu d’enfant et qui nous laissait cet héritage impalpable.
Et puis il y a eu Maurice Bitter qui, de la haut, avec ses yeux bleus doit sourire et découvrir ses dents jaunies, et murmurer « c’est bien, mon grand » journaliste, globe trotter et…Libraire.
Un jour, le téléphone a sonné chez mes parents, j’avais quinze ans, j’ai décroché : « Bonjour, je suis journaliste, je fais une émission
pour les jeunes à la radio, je recherche un jeune qui accepterait de la faire avec moi… »
Pendant deux ans, tous les jeudis, j’ai été son partenaire pour une émission sur Radio France
internationale : « aux rivages de l’odyssée » « aux rivages de l’aventure » Deux ans d’une expérience incroyable ou je devais dans la semaine ingurgiter des livres
: la vie d’un homme, ou d’un héros mythologique pour tenir ma place pendant l’émission.
Mais Maurice, juif polonais, c’était beaucoup, plus que cela, dans sa librairie de la rue Monsieur le Prince, il m’a fait aimer les livres, au point que, pour moi, une bibliothèque ou une
librairie peuvent s’assimiler a une pâtisserie, il m’a inoculé, aussi, sa passion des voyages. A chaque moment d’école buissonnière, je fonçais rue Monsieur le Prince, je poussais la
porte de la librairie « du Pacifique » et pénétrais dans un bric à brac phénoménal
constitué de livres qu’il avait tous lus et qu’il me conseillait avec gourmandise : mon premier livre lu au fond de son arrière boutique : Isaac Asimov et le souvenir d’une phrase,
« la violence est le dernier remède de l’incompétence »
Devant, derrière, en dessous des livres il y avait des milliers d’objets rapportés de ses voyages, du plus consternant comme le calendrier de tahiti de trois ans en arrière, bourré de vahinés aux formes suggestives, et une foule d’objets achetés, sans doute, dans les boutiques d’aéroport, mais il y avait aussi du sublime : deux statues géantes en fougères arborescentes des Nouvelles Hébrides qu’il m’a laissé le jour de sa mort en héritage, des tapas, toiles peintes par les kanaks sur le John Fromisme, des pièces préhistoriques qui côtoyaient le pire.
Une fois le livre choisi, on se glissait derrière un panneau amovible pour se retrouver dans une
sorte de jardin d’hiver, ou il y avait toujours du coca... et une joli fille, Maurice avait un vrai faible pour les jolies filles et l’adolescent que j’étais, en restait pantois...
Une de ses conquêtes de l’époque est désormais l’épouse d’un de nos grands réalisateurs de cinéma, elles étaient belles et pas sottes !
C’est, dans ce lieu hors du temps, qu’a partir de mes dix sept ans, j’ai eu le bonheur de côtoyer, de tutoyer, de discuter sans mesurer ma chance avec des écrivains immenses comme André Schwartz bart et son épouse Simone, comme Marc Hillel qui venaient, en passant, y faire une pause, Marc qui ferait
paraitre en 77 un livre bouleversant : « Au nom de la race ». André nous expliquant comment il avait écrit et réécrit pendant dix ans « Le dernier des justes » avant de le considérer comme achevé,et avant qu’il ne reçoive le Goncourt, ce monument fut vendu a 1 million
d’exemplaires et Elie Wiesel considère que c’est le deuxième roman français après "La peste" d’Albert camus.
Maurice avait commis lui-même quelques livres et édité plus de 55 disques de musiques traditionnelles. Il était passé du certificat d’études à la thèse de doctorat, par dérogation, du fait de sa présence dans la résistance pendant la seconde guerre, ce qui a fait de lui un des fondateurs du journal « Combat ». Cette thèse portait sur Louise Michel et la presse que les déportés de la commune de Paris ont développée en nouvelle Calédonie, un document passionnant qui m’a marqué et qui, aujourd’hui, dicte mes rapports avec les journalistes.
Du rocher de Massada à la tombe de jacques Brel aux Marquises, Maurice m’a raconté le monde m’inspirant l’envie irrépressible de le découvrir à mon tour. Comment, quand on est adolescent, ne peut-on pas être suspendu à ces récits de résistants dans les traboules de Lyon, à ces rapports humains bouleversés par l’urgence et par le danger, comment ne pas être frappé par la vie de cet adolescent devenu homme qui, en 1945, est passé du statut de héros au rang d’anonyme, partageant une chambre à trois et dont les compagnons ont choisi soit le suicide soit le banditisme faute de ne plus trouver de place dans une France libérée.
Comment en ce jour d’été où un ministre m’adresse la plus haute distinction culturelle, ne pas penser à mon compagnon d’écriture, Denis pelsy, qui m’a fait découvrir notre panthéon, notre exemple : le théâtre du peuple de Bussang, Denis, avec qui j’ai osé les premiers pas, de prendre la plume et d’inventer des univers.
Il y a trente cinq ans nous écrivions : « la culture, le théâtre ne sont pas un champ clos réservé a quelques initiés, il nous faut le labourer tous ensemble et l’ouvrir à chacun pour qu’ils produisent de vrais fruits » François Léotard, ministre de la culture, devant nos premiers « méfaits », nous avait même adressé un diplôme ! Un certificat de félicitations, Jack Lang avait embrayé….
Cette aventure, elle n’a pu prendre forme que, grâce à tous ceux qui se sont consacrés à nos spectacles, acteurs, bénévoles, Mac Gyver de tous poils, ces centaines de personnes qui, pendant 25 ans, m’ont accompagnées dans ces délires mégalomanes, dans ces textes que, parfois, ils ne comprenaient pas, au nom du plaisir, du bonheur, de l’imaginaire, de l’aventure, aidé par mes ombres, nous découvrions l’impérieuse nécessité d’être acteurs plutôt que spectateurs, sur les planches mais aussi et surtout dans la vie.
La vie publique m’a permis d’être acteur plutôt que spectateur, mon inculture m’a ouvert les portes que généralement referment les préjugés, pour de formidables aventures humaines, formidables parce que simples et vraies comme les journées du patrimoine qui témoignent que seul le regard porté compte.
Ce mode de pensée qui fait sauter les œillères du « cela se fait, cela ne se fait pas » s’est appliqué dans tous les
domaines de la vie de mon village, de notre canton une sorte de « Christian touch » que certains reconnaissent, et que
je dois à ceux qui m’ont confié les clés.
Ni la culture, ni l’écologie ni l’ensemble des cordes qui forment la harpe de notre vie ne sont séparables, ceux qui tentent de créer des cases et de distinguer, culture de vie
quotidienne, écologie de gestion, finances et réalité, urbanisme et rapports humains nous font perdre les repères essentiels d’une vie équilibrée, car tout est lié définitivement et
irrémédiablement.
Il y a eu le principe et la conception des archives départementales à Chamarande, avec cette idée folle de creuser sous le château, qui m’ont permis de côtoyer Jean de Boishue un véritable homme de culture lui, fascinant par le bel équilibre entre sa connaissance et sa tolérance mis tous les deux au service de l’humanisme, il y a eu des rêves inachevés qui m’inspirent de la tristesse, comme le théâtre de Bligny, si on m’avait laissé faire… il y a ces dizaines de peintres, de sculpteurs, de graphistes, qui sont venus exposer et qui vous laissent très humble face à la diversité créatrice, il y a Karine et Jean-Paul qui m’ont permis d’écrire des chansons et de les entendre, désormais, résonner dans des salles de spectacle.
Décoré comme un arbre de noël, l’aventure continue, car seul compte l’appétit de rêves que l’on veut voir se réaliser.