la succession d'attentats plus odieux les uns que les autres qui touchent a nos valeurs fondamentales et a la vie tout simplement prennent aux tripes car on mesure parfaitement le processus d'escalade haineuse qui s'installe ,d'énormités plus grosses les unes que les autres proférées sous le coup de la peur
toutes les "ficelles" pour créer le chaos et fracturer notre pays sont mises en place et ce ne sont pas les précipitations du président allant d'un attentat a un autre ,manipulé comme une boule de billard contre son gré, qui avec la même solennité affirmera la détermination nationale qui y changeront quelque chose
qui peut nier que quelques horreurs de plus et nous assisterons au retour des "ratonnades" a l'exultation des bas instincts ?
dans cette cacophonie de cafés du commerce de nos politiques ,permettez moi de vous dire ma fierté ,il est une voix ,ou plutôt une plume qui pose la voie des problématiques et des solutions c'est celle de mon frére jean eric ,au parcours de haut magistrat sans failles
,j'en veux pour preuve que depuis qu'il a publié l'article que j'ai honteusement recopié ,je reçois des appels d'élus nationaux de premier plan qui souhaitent le joindre et je ne doute pas que d'autres, plus nombreux, l'ont appelé directement
je suis admiratif, il pose les choses ,sans haine ,ni polémique ,il est factuel ce qui signifie pas qu'il soit tendre ,mais enfin voilà quelqu'un qui ne s'arrête pas aux constats de badaud et qui met le parlement ,le gouvernement face a de vrais choix ,pour une république en guerre qui ne soit pas désarmée
alors c'est long ,parfois ardu mais sincèrement c'est presque rassurant car cela nous éloigne de tous les populismes et les réactions primaires
je vous soumets en fait deux articles qu'il a commis avant ces derniers attentats ,bien entendu ce n'est pas simple ,mais si cela l'était ,nous n'en serions pas là sans doute cela appelle de l'intelligence et du courage
bon courage a vous qui vous lancez dans cette lecture limpide et percutante
Est-il exact que les armes à la disposition des pouvoirs publics en matière de terrorisme djihadiste, d’éloignement des indésirables et de droit des étrangers ont été peu à peu rognées depuis 30 ou 40 ans ?
Depuis une quarantaine d’années, les normes juridiques supérieures (Constitution, traités et surtout jurisprudence des cours suprêmes) en matière de droits fondamentaux ont toujours plus étroitement enserré la marge d’action des pouvoirs publics. Aussi les idées audacieuses lancées dans le débat public pour lutter contre l’islamisme (internement des fichés S les plus dangereux par exemple), ou pour contenir la pression migratoire (telles des quotas migratoires) se heurtent-elles au mur des droits fondamentaux.
Il est malhonnête de proposer des mesures intenables en l’état des contraintes constitutionnelles ou résultant des traités si on n’est pas résolu à remettre celles-ci en cause, en le disant clairement et par avance.
Pour les pouvoirs publics, l’alternative est en effet la suivante : soit se tenir dans les limites de l’Etat de droit tel qu’il est actuellement défini par les textes de valeur supérieure et la jurisprudence des cours suprêmes nationales et européennes (nous en avons pas moins de cinq : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour de Cassation, la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme) ; soit se préparer à « renverser la table » en modifiant la Constitution et en dénonçant, renégociant ou suspendant unilatéralement certains de nos engagements européens.
Les contraintes juridiques que vous évoquez restreignent-elles l’action de l’Etat dans la lutte contre le terrorisme djihadiste ?
La rétention administrative des radicalisés dangereux est impossible dans l’état actuel de la Constitution et compte tenu de nos engagements européens. Même les possibilités d’assignation à résidence ont été réduites depuis la sortie de l’état d’urgence antiterroriste, compte tenu des réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel (décision du 29 mars 2018) sur la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Se conformant aux injonctions du Conseil constitutionnel, la loi ne limite la liberté de mouvement des islamistes les plus dangereux, lorsqu’ils ne sont pas (ou plus) l’objet de poursuites judiciaires (par exemple en fin de peine), que sous la forme d’une assignation dans la commune du domicile et pendant douze mois tout au plus, de manière continue ou non.
En matière de réponse au danger terroriste, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme interdit l’expulsion d’un étranger, si dangereux soit-il, s’il est exposé, dans son pays d’origine, à de mauvais traitements (décision Daoudi, 3 décembre 2009) ou s’il risque d’y faire l’objet de poursuites pénales non conformes aux canons européens du procès équitable (décision Othman Abu Qatada, 17 janvier 2012). Cette jurisprudence a conduit à mettre en œuvre une législation permettant, non sans aléas, l’assignation à résidence hôtelière des intéressés.
Le Conseil constitutionnel a censuré diverses dispositions qui auraient pu être d’utiles armes dans la lutte contre le terrorisme dijhadiste ou ses prémisses. En 2017, il censure à deux reprises des dispositions, pourtant très encadrées, créant un délit de consultation habituelle et injustifiée de sites djihadistes. Le 18 juin 2020, il censure, par une motivation aussi sévère qu’impressionniste, le cœur de la « loi Avia » qui instituait, à la charge de différentes catégories d'opérateurs de services de communication en ligne, de nouvelles obligations de retrait de contenus véhiculant des discours de haine. Le 7 août 2020, il censure la mesure de sûreté (là encore très encadrée et ne comportant pas de mesure privative de liberté) prévue à l’égard des personnes condamnées pour actes terroristes, à la fin de leur peine, par la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes.
Plus généralement, en matière de maintien de l’ordre public, la protection souvent maximaliste et abstraite des droits fondamentaux induite par la jurisprudence de cinq cours suprêmes en perpétuelle émulation, combinée à la hantise d’un incident et à la crainte d’être désavoué par les médias et les juges, « engourdit » l’Etat régalien.
Quel est le cadre juridique qui enserre la possibilité d’agir contre l’islamisme ?
En sortant de l’état d’urgence, nous avons perdu des moyens d’action alors que le péril demeure au même niveau d’intensité.
Un exemple : l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017, telle qu’interprété par le Conseil constitutionnel, ne permet de fermer une mosquée radicale (pendant six mois au plus) que si le préfet établit que les théories qui y sont diffusées ou les activités qui s'y déroulent provoquent à la commission d'actes de terrorisme. Des prêches haineux ou obscurantistes ne suffisent donc pas.
Le projet de loi contre le séparatisme islamiste semble vouloir étendre la possibilité de dissoudre (par décret en Conseil des ministres) une association au cas où son activité est contraire aux valeurs de la République. Mais le Conseil constitutionnel a toutes les chances de trouver une telle expression trop imprécise pour fonder une atteinte à la liberté d’association. Cette dernière est d’autant plus protégée par la jurisprudence constitutionnelle que la décision fondatrice de 1971, par laquelle le Conseil s’est donné le pouvoir de contrôler une loi au regard de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du Préambule de la Constitution de 1946, portait justement sur la liberté d’association.
Mêmes difficultés pour imposer des obligations de discrétion religieuse dans l’espace public ou aux usagers des services publics : de telles obligations seraient aisément considérées comme attentatoires à la liberté religieuse, qui est aussi, selon la Convention européenne des droits de l’homme, celle de manifester sa croyance. Elles pourraient être également regardées comme des discriminations indirectes en vertu du droit européen dérivé.
Et cependant, il ne faut transiger avec le communautarisme ni à l’école, ni dans les autres services publics. Il faut soutenir les entreprises qui prennent des règlements intérieurs pour couper court à ce type de revendication. Il y a un combat culturel à mener dans lequel chacun a un rôle à jouer (l’instituteur devant sa classe en particulier) pour affirmer les valeurs de la République et pour inspirer le sentiment d’appartenance à la Nation. Personne ne doit se sentir seul.
Il faut également imposer, dans tous les cas d’accès à la nationalité, une vérification de l’assimilation et, lorsque cette condition est d’ores et déjà prévue par le code civil, l’appliquer plus rigoureusement qu’aujourd’hui. Sur ce point au moins, je n’aperçois pas d’empêchement constitutionnel
Que peut encore faire l’Etat pour réguler les flux migratoires ?
Depuis une quarantaine d’années, notre législation et nos pratiques évoluent dans un sens globalement de plus en plus libéral à l’égard de l’accueil et du séjour des étrangers : délivrance peu discriminée des visas, appréciation de plus en plus lâche des capacités d’intégration et de la maîtrise de la langue française lors de la délivrance du premier titre de séjour, renouvellement automatique de la carte de résident, examen insuffisant des demandes d’asile au regard des problèmes que peut poser le demandeur pour l’ordre public. Je renvoie à une actualité sinistre.
Inversement, les règles d’éloignement sont de plus en plus complexes pour l’administration tant du point de vue de la procédure (qui fait intervenir à la fois le juge judiciaire et le juge administratif) que des conditions de fond. Il est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’il y a une quarantaine d’années d’expulser un étranger dont la présence met en péril l’ordre public.
Plus généralement, les pouvoirs de police administrative relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers se sont restreints au cours des quarante dernières années. Par hantise de l’arbitraire administratif et dans le souci de mieux protéger les droits fondamentaux des étrangers, on a dépouillé le ministère de l’intérieur de beaucoup de ses marges de manœuvre. Il en est résulté une perte d’efficacité de l’action de l’Etat (que traduisent les statistiques) et un déséquilibre dans la conciliation nécessaire entre droits individuels des étrangers et intérêts supérieurs de la Nation.
Un certain nombre de ces dispositions et de ces pratiques pourraient certes être revues dans un sens plus rigoureux, de manière à limiter l’entrée ou le maintien d’indésirables sur notre sol. Mais tout durcissement entrerait en délicatesse avec la jurisprudence des cours suprêmes.
S’agissant du contrôle des flux migratoires, les jurisprudences des cours suprêmes et supranationales « formatent » en effet les politiques publiques.
Qu’entendez-vous par « formatent » ?
Un bon exemple de formatage d’une politique publique par la jurisprudence des cours suprêmes est le regroupement familial, qui est (avec le droit d’asile et les entrées irrégulières) une importante source de l’immigration en France. Il recouvre deux mécanismes : le regroupement familial stricto sensu dans lequel le « regroupant » est un étranger résidant régulièrement en France (13000 personnes par an) ; et le cas, d’impact six fois plus important sur les flux migratoires, du Français issu de l’immigration faisant venir en France son conjoint épousé dans le pays d’origine.
Cependant, le regroupement familial se voit reconnaître par le Conseil constitutionnel, en 1993, une protection constitutionnelle, au nom du droit de mener une vie familiale normale (n° 93-325 DC, 13 août 1993). Se fondant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (" La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement "), auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, et qui fait donc partie intégrante du « bloc de constitutionnalité », le Conseil constitutionnel juge que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».
Le droit au regroupement familial dispose également d’un fondement inébranlable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), surtout à partir du début des années 2000. Cette jurisprudence est abondante. Sa base textuelle se trouve dans le « droit à la protection de la vie privée et familiale » (article 8 de la Convention). La portée ainsi attribuée à son article 8 aurait surpris les représentants des Etats signataires de la Convention.
Le regroupement familial est désormais gravé dans le marbre du droit de l’Union européenne, puisque la Charte des droits fondamentaux de l’Union rend applicable l’ensemble du droit issu de la Convention aux politiques menées, aux niveaux tant européen que national, dans le champ du droit de l’Union et qu’une directive du 22 septembre 2003 organise ce droit en conformité avec la jurisprudence de la CEDH.
Les Etats peuvent certes s’opposer à un regroupement familial pour des motifs d’ordre public, mais seulement au cas par cas et au sens strict de la notion d’ordre public. Ils peuvent aussi imposer un niveau minimal de ressources « autonomes » à condition de ne pas fixer ce niveau au-dessus de celui des foyers « autochtones » modestes, présentant la même composition familiale.
Tout ce qui vient d’être dit du regroupement familial stricto sensu vaut a fortiori pour la venue en France du conjoint d’une personne de nationalité française.
Si l’obstacle constitutionnel était levé, demeurerait donc l’obstacle de la CEDH et des conséquences qu’a tirées de sa jurisprudence le droit européen dérivé (règlements et directives européens). Or le droit de l’Union prévaut sur le droit français, quel que soit le niveau de celui-ci dans la hiérarchie nationale des normes.
L’invocation d’un besoin national impérieux (alléger les flux pour mieux résoudre les problèmes d’intégration) serait inopérante, car, précisément, le regroupement familial est conçu positivement par la CEDH et par le droit européen dérivé comme contribuant à une bonne insertion des étrangers, à la paix civile et au bien-être économique.
Est-il satisfaisant, dans une démocratie représentative, qu'un élément aussi significatif de la politique migratoire que le regroupement familial (dans ses deux composantes) soit à ce degré déterminé par les juges, au regard de principes intangibles, plutôt qu'assumé par les représentants du peuple et ajusté par eux en fonction de l'évolution des circonstances et du degré de consentement de la Nation ?
Le droit européen limite-t-il à d’autres égards l’action des pouvoirs publics français en matière d’immigration et d’asile?
Les jurisprudences de la CEDH et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) configurent les politiques d’immigration sous bien d’autres aspects.
Ainsi, en matière d’accueil des demandeurs d’asile, la CEDH condamne la reconduite d’une embarcation interceptée en mer à son pays de provenance, même dans le cadre d’un accord bilatéral assurant la sécurité des intéressés (décision Hirsii Jamaa c/ Italie, 23 février 2012). L’examen doit se faire au cas par cas, dans le pays de destination. La CJUE ajoute que le placement en rétention du demandeur doit être exceptionnel. Les motifs d’ordre public pour lesquels ce placement est possible « supposent, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». L’idée de « hot spots » fermés est donc condamnée par cette jurisprudence. Tout demandeur doit pouvoir se déplacer librement tant que son dossier n’est pas clos. S’il est débouté, il ne sera reconduit dans son pays d’origine que dans de rares cas, soit parce qu’il s’est évanoui dans la nature, soit parce que ses autorités nationales ne coopèrent pas à son retour, soit parce que ce retour le met en danger, ce qui, juridiquement, interdit la mesure d’éloignement.
En matière d’entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne, la CJUE regarde les contrôles de police dans la bande de 20 km en deçà d’une frontière intérieure à l’espace Schengen comme un détournement des règles de Schengen, contraire au principe de libre circulation des personnes (arrêt Melki, 22 juin 2010). Cette jurisprudence a conduit à reporter la charge du contrôle sur les seuls Etats membres présentant une frontière extérieure, avec les difficultés que l’on sait en Grèce et en Italie.
En matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, la CJUE écarte tout traitement pénal de l’irrégularité du séjour, qu’il s’agisse du placement en garde à vue (arrêt Achughbabian, 6 décembre 2011) ou des peines d’emprisonnement (arrêt El Dridi, 28 avril 2011). Pour la CJUE, la « directive retour » de décembre 2008[1] serait « privée d’effet utile » (autrement dit vidée de son contenu) si une garde à vue, qui relève de la procédure pénale, était possible contre un étranger en situation irrégulière, sans avoir épuisé au préalable les procédures d’éloignement prévues par cette directive. Or la garde à vue était, en France, la première étape de l’éloignement. C’était la condition matérielle de la mise en œuvre des procédures de reconduite, admises par la directive… Pour se conformer à cet arrêt, que personne n’avait prévu, il a fallu inventer une « retenue » ayant toutes les caractéristiques objectives de la garde à vue, sans en porter l’étiquette : solution à la fois compliquée et hypocrite.
Les jurisprudences du Conseil constitutionnel et des deux cours européennes sur le regroupement familial et l’asile interdisent de soumettre la plus grande partie de l’actuel flux d’entrées à une politique de quotas d’immigration, pourtant mise en avant par nombre de personnalités politiques françaises et soutenue majoritairement par l’opinion.
Les questions migratoires sont incontournables car liées, compte tenu des cultures d’origine des migrants, à la sauvegarde du modèle républicain. A cet égard, il faudrait réduire le flux d’entrée. Dans l’état du monde contemporain, avec la montée du fondamentalisme comme phénomène géopolitique durable et l’explosion démographique en Afrique, une immigration massive en provenance d’outre Méditerranée est ingérable. A court terme, elle déborde nos dispositifs d’accueil ; à moyen terme, elle compromet l’intégration ; à plus long terme, elle expose la société française à de graves déchirements. Bien sûr, une partie de ce flux s’intègrera tant bien que mal et parfois très bien. Mais notre devoir à l’égard des générations futures est de regarder en face les évidences quantitatives et la prégnance des facteurs culturels. Mamoudou Gossama (sauveteur du petit garçon coincé sur son balcon) ne doit pas être le héros qui nous cache la forêt des ghettos. Toutefois, la Constitution et les engagements internationaux de la France ne facilitent pas l’adoption de mesures de régulation, c’est le moins qu’on puisse dire.
En matière d’asile, il faudrait prendre en compte les capacités d’assimilation et le risque pour l’ordre public non seulement de ceux qui ont commis ou participé à des actes terroristes, mais également de ceux qui adhèrent à l’idéologie qui en constitue le terreau. Mais la Convention de Genève, telle qu’elle est interprétée par les cours suprêmes, ne le permet pas.
Comment expliquer, sur ces questions, un tel décalage entre les discours volontaristes des politiques et la timidité de leurs actes, l’attachement intact des Français à un Etat censé être protecteur et tout puissant et la réalité qui évoque un Gulliver entravé?
Sur des sujets aussi brûlants dans le débat public, l’opinion ne perçoit pas les limites juridiques auxquelles se heurtent les projets des politiques. La plupart de nos concitoyens sont convaincus que les flux migratoires peuvent être régulés en vertu de choix politiques nationaux. Notre peuple aspire à ce que ses dirigeants se donnent « les coudées franches » en matière d’immigration comme de sécurité. En France, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis avec une Cour suprême bicentenaire, le public n’a pas intériorisé le pouvoir du juge et pense que le politique peut tout faire s’il y est mandaté par le suffrage universel.
Bien sûr, comme l’Histoire nous l’a appris, la démocratie ne saurait se réduire à la volonté majoritaire qui peut être tyrannique et dont les risques de dérapage sont redoutables. Les chartes des droits et les juges qui en assurent le respect effectif sont de nécessaires garde fous. Mais doivent-ils être des corsets face à une volonté populaire constamment manifestée sur des sujets qui la touchent directement, parce qu’ils ont trait à la continuité de sa culture et à la pérennité de son mode de vie ? Or c’est bien la situation à laquelle nous sommes parvenus, en France comme dans la plupart des pays occidentaux.
Est-il souhaitable et possible de ramener à la raison les juridictions dont on estimerait qu’elles s’opposent de façon idéologique aux décisions de l’Etat ?
La révision constitutionnelle permet de restituer aux pouvoirs publics des marges de manœuvre dans des domaines où existent des obstacles constitutionnels (ou résultant de la jurisprudence des cours suprêmes) à l’efficacité des politiques publiques, qu’il s’agisse (dans le domaine qui nous occupe) de l’intervention obligatoire du juge judiciaire en matière de rétention administrative des étrangers en voie d’éloignement, ou du confinement des radicalisés dangereux, ou du plafonnement des flux migratoires.
Une option plus forte, à vrai dire révolutionnaire, serait d’inscrire dans la Constitution une possibilité parlementaire de « passer outre » aux jurisprudences paralysantes des cours suprêmes. On peut imaginer à cet égard de « forcer » le maintien en vigueur d’une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (ou contraire au traité par une cour supranationale), dès lors que le Parlement se prononcerait expressément en ce sens par un vote à la majorité qualifiée intervenant dans un certain délai à compter de la censure. Voilà qui résoudrait la contradiction croissante entre démocratie des droits et démocratie représentative.
A la suite de Montesquieu, qu’il soit permis d’énoncer deux évidences : la liberté est inséparable de l’action positive (et non pas seulement de l’abstention) de l’Etat en faveur de la sûreté de chacun ; L’Etat de droit doit rester le correctif de la souveraineté, non dévitaliser cette dernière. Or traités, révisions constitutionnelles et percées jurisprudentielles concourent, depuis un demi-siècle, à la contraction des marges de manœuvre des pouvoirs soumis au suffrage, particulièrement dans le domaine régalien ; à la précarité de la loi, vulnérable à de multiples contentieux ; au déclin de la souveraineté.
Remonter la pente imposerait, au-delà du changement des mentalités et de la révision de la Constitution, une renégociation de nos engagements internationaux restituant leur indispensable primauté tant à la souveraineté nationale qu’à la loi votée par les élus de la Nation.
S’agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la France pourrait rétablir la réserve qu’elle avait initialement faite (et levée en 1981) au recours individuel devant la Cour de Strasbourg. S’agissant de la Cour de justice de l’Union européenne, les traités européens pourraient être modifiés pour priver de valeur normative la Charte européenne des droits fondamentaux et exclure la compétence de la Cour dans les domaines régaliens.
Un traité se renégocie. La Constitution se révise.
[1] Directive du Parlement européen et du Conseil 16 décembre 2008 sur les normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
ainsi que celui ci
Pourquoi et comment légiférer en matière de laïcité et de valeurs républicaines ?
Le projet de loi « visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains » (alias loi contre le « séparatisme ») traite d’une immense question de société : l’intégrité nationale, aujourd’hui menacée par l’archipélisation de la société.
Le règlement de cette question appelle des réponses culturelles, psychologiques, économiques, sociales, éducatives. Mais, en bonne partie, il appelle aussi des réponses juridiques, car la cohérence d’une société s’exprime et se cimente au travers des normes qu’elle se donne.
A cet égard, il faut se rendre à l’évidence : le droit actuel est insuffisant pour combattre l’islamisme (I) ; le projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains est loin, en l’état, de combler ce vide juridique (II) ; même avec un projet de loi rehaussé dans ses ambitions, beaucoup d’incertitudes subsisteront dont la dissipation justifierait une initiative constitutionnelle (III).
Le droit actuel est insuffisant pour combattre l’islamisme
Sur toutes les questions touchant aux valeurs de la République, à la laïcité et à l’intégration, la République a besoin de repères simples à énoncer, de lignes rouges nettes.
Or les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits.
Trois raisons expliquent cette confusion :
Tout d’abord, la loi de séparation du 9 décembre 1905 ne règle pas toutes les questions que nous estimons intuitivement relever du respect du principe de laïcité (a) ;
Pour une large part, nos exigences en matière de laïcité relèvent de la coutume (b) ;
L’incertitude juridique règne sur tout ce qui, en dehors du champ strict de la loi de la séparation, soulève des questions se rattachant lato sensu à la notion de laïcité (c).
La loi de séparation du 9 décembre 1905 ne règle pas toutes les questions que nous estimons intuitivement relever du respect du principe de laïcité
On a pu dire que la loi de 1905 était le code de la laïcité français. C’est en partie vrai, mais en partie seulement. Les règles juridiques et, plus encore, les usages que nous considérons comme inhérents à la laïcité ne se rattachent pas tous à la loi de 1905.
La loi de 1905 ne suffit ni à complètement définir la laïcité à la française (le terme de laïcité n’y figure d’ailleurs pas), ni à contrer victorieusement le communautarisme et l’intégrisme Comme la plus belle fille du monde, la loi de séparation ne peut donner que ce qu’elle a.
A côté de dispositions précises (édifices du culte, associations cultuelles, police des cultes), que la loi ordinaire a occasionnellement assouplies (construction de mosquées), mais qu’elle pourrait aussi renforcer (répression des discours de haine dans les lieux de culte), la loi de séparation comporte, en ses deux premiers articles, des principes généraux de valeur constitutionnelle.
De ces principes généraux, la jurisprudence et la doctrine ont tiré des conséquences importantes (par exemple en matière de neutralité de l’administration). Mais ces principes généraux ne sont pas d’application illimitée.
ainsi que celui ci
Pourquoi et comment légiférer en matière de laïcité et de valeurs républicaines ?
Le projet de loi « visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains » (alias loi contre le « séparatisme ») traite d’une immense question de société : l’intégrité nationale, aujourd’hui menacée par l’archipélisation de la société.
Le règlement de cette question appelle des réponses culturelles, psychologiques, économiques, sociales, éducatives. Mais, en bonne partie, il appelle aussi des réponses juridiques, car la cohérence d’une société s’exprime et se cimente au travers des normes qu’elle se donne.
A cet égard, il faut se rendre à l’évidence : le droit actuel est insuffisant pour combattre l’islamisme (I) ; le projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains est loin, en l’état, de combler ce vide juridique (II) ; même avec un projet de loi rehaussé dans ses ambitions, beaucoup d’incertitudes subsisteront dont la dissipation justifierait une initiative constitutionnelle (III).
Le droit actuel est insuffisant pour combattre l’islamisme
Sur toutes les questions touchant aux valeurs de la République, à la laïcité et à l’intégration, la République a besoin de repères simples à énoncer, de lignes rouges nettes.
Or les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits.
Trois raisons expliquent cette confusion :
Tout d’abord, la loi de séparation du 9 décembre 1905 ne règle pas toutes les questions que nous estimons intuitivement relever du respect du principe de laïcité (a) ;
Pour une large part, nos exigences en matière de laïcité relèvent de la coutume (b) ;
L’incertitude juridique règne sur tout ce qui, en dehors du champ strict de la loi de la séparation, soulève des questions se rattachant lato sensu à la notion de laïcité (c).
La loi de séparation du 9 décembre 1905 ne règle pas toutes les questions que nous estimons intuitivement relever du respect du principe de laïcité
On a pu dire que la loi de 1905 était le code de la laïcité français. C’est en partie vrai, mais en partie seulement. Les règles juridiques et, plus encore, les usages que nous considérons comme inhérents à la laïcité ne se rattachent pas tous à la loi de 1905.
La loi de 1905 ne suffit ni à complètement définir la laïcité à la française (le terme de laïcité n’y figure d’ailleurs pas), ni à contrer victorieusement le communautarisme et l’intégrisme Comme la plus belle fille du monde, la loi de séparation ne peut donner que ce qu’elle a.
A côté de dispositions précises (édifices du culte, associations cultuelles, police des cultes), que la loi ordinaire a occasionnellement assouplies (construction de mosquées), mais qu’elle pourrait aussi renforcer (répression des discours de haine dans les lieux de culte), la loi de séparation comporte, en ses deux premiers articles, des principes généraux de valeur constitutionnelle.
De ces principes généraux, la jurisprudence et la doctrine ont tiré des conséquences importantes (par exemple en matière de neutralité de l’administration). Mais ces principes généraux ne sont pas d’application illimitée.
Ainsi, à la différence de l’obligation de neutralité pesant sur les agents publics, qui découle de la loi de 1905, le régime applicable aux usagers des services publics, celui applicable aux entreprises et aux associations, celui régissant l’espace public, ne résultent pas de la loi de séparation.
Il a fallu des lois spéciales pour interdire l’ostentation religieuse par les élèves de l’école publique (2004) et la dissimulation du visage dans l’espace public (2010).
Il a fallu maints tâtonnements jurisprudentiels pour aboutir à la solution adoptée par la Cour de cassation en 2014 dans l’affaire Baby Loup, solution elle-même remise en cause par un avis du Comité des droits de l’homme de l’ONU d’août 2018 qui a désavoué la France.
- Dans la tradition républicaine, la laïcité a un sens juridique (loi de séparation de 1905), mais aussi, plus largement, coutumier.
Sens juridique :
- Sauf exceptions (aumôneries scolaires, militaires et pénitentiaires), les personnes publiques, que ce soit au travers des règles qu’elles instituent, des deniers qu’elles manient, des procédures qu’elles mettent en œuvre ou des décisions individuelles qu’elles prennent, doivent être indifférentes aux appartenances religieuses, comme d’ailleurs ethniques ou sexuelles.
- Réciproquement, nul ne peut se prévaloir de ses croyances pour se soustraire à la règle commune édictée par une collectivité publique. Ainsi en a jugé le Conseil constitutionnel le 19 novembre 2004, en examinant le Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
La loi religieuse s’efface devant la loi civile. C’est déjà beaucoup. C’est plus que ce que font croire les tenants d’une « laïcité inclusive ». Mais il y a plus.
Au-delà de la loi de 1905, la laïcité a un sens comportemental qui a fait longtemps consensus : le pacte de discrétion. Chacun peut croire et pratiquer librement, mais sa croyance doit rester discrète dans l’espace public.
Un modus vivendi s’est enraciné en France autour de l’idée que la religion se situe dans le fors intérieur, dans la sphère privée et dans les lieux de culte. Et qu’elle ne peut déborder dans l’espace public que dans certaines limites (processions traditionnelles par exemple).
Un pacte de non ostentation a été tacitement scellé dans ce cadre. Il a permis d’enterrer la hache de guerre entre l’Eglise dominante et l’Etat. Il a garanti la cohabitation paisible de la croyance et de l’incroyance. Il a autorisé agnostiques et fidèles de diverses religions à « faire société » dans une respectueuse retenue mutuelle. Chacun y a trouvé son compte.
La laïcité est ainsi devenue un principe d’organisation permettant de « faire société » en mettant en avant ce qui rassemble plutôt que ce qui sépare.
Ce principe d’organisation est en résonance avec chacun des trois termes de la devise de la République :
- Le lien avec la liberté, c’est la construction de l’autonomie personnelle et de l’esprit critique, tout particulièrement à l’école, grâce à la mise à distance des assignations identitaires ;
- Le lien avec l’égalité, c’est la commune appartenance à la Nation, le partage de la citoyenneté et l’identité des droits et devoirs qu’elle implique ;
- Le lien avec la fraternité, c’est ce souci d’autrui qui me conduit, par égard pour lui, à mettre en avant ce qui nous unit et en sourdine mes allégeances particulières.
Toutefois, pour inscrite qu’elle soit dans nos mœurs, pour cruciale qu’elle soit pour la cohésion sociale, pour inhérente qu’elle soit au pacte républicain, cette dimension coutumière de la laïcité n’est pas toujours, tant s’en faut, étayée par le droit positif.
Elle n’en avait pas besoin jusqu’ici, précisément parce qu’elle était inscrite dans nos mœurs.
- L’incertitude juridique, entretenue par les controverses idéologiques contemporaines et la montée du communautarisme, règne sur tout ce qui, en dehors du champ strict de la loi de la séparation, pose des questions se rattachant à la notion de laïcité lato sensu
L’incertitude est en effet grande sur des questions liées à la laïcité ou, plus généralement, au communautarisme : port du burkini et non mixité dans les piscines publiques ; organisation du ramadan et offre de repas hallal dans les établissements d’enseignement publics et dans les services publics ; conséquences à tirer d’un refus de la mixité ou de la neutralité par un agent public ; respect de l’égalité hommes femmes et non prosélytisme dans le milieu du sport ; prières publiques ; possibilité pour les associations et les entreprises de prescrire à leur personnel des obligations de neutralité religieuse ; règles de vie commune applicables au service national universel...
L’incertitude est non mois grande sur des sujets relatifs à la lutte contre la radicalisation et au maintien de l’ordre républicain : révocation des personnels radicalisés ; fermeture des mosquées où se prêchent des discours de haine ; dissolution des associations dont les activités sont contraires à l’ordre public ; suivi des radicaux sortis de prison ; répression de la polygamie ….
On convoque le principe de laïcité et les valeurs de la République à tout bout de champ, mais qui a des idées vraiment précises sur le champ d’application de ces concepts et leurs implications normatives ?
La jurisprudence elle-même est hésitante et contournée, comme l’illustrent deux thèmes qui ont défrayé la chronique depuis quelques années : la tenue des accompagnatrices de sorties scolaires et les crèches de Noël dans les hôtels de ville.
Tout récemment, on a vu le Défenseur des droits remettre en cause l’obligation de fournir une photo tête nue pour le « passe Navigo », au motif que cette obligation constituerait une discrimination indirecte contre les musulmanes. Le juge des référés du Conseil d’Etat a pourtant considéré (à propos du turban sikh) qu’on ne pouvait exciper de sa liberté de croyance pour refuser de poser tête nue pour une photographie d’identité officielle (ordonnance du 6 mars 2006, No 289947, Association United Sikhs).
Incertitudes encore pour le sport, domaine crucial lorsqu’on connaît l’intensité de l’entrisme islamiste dans les clubs sportifs.
Au regard du principe de neutralité, y a-t-il lieu de distinguer fédérations agréées, fédérations délégataires et associations affiliées ? Doivent-elles toutes respecter et faire respecter la neutralité religieuse ? Pour l’ensemble de leurs activités ou partie d’entre elles ? Et quel est exactement le contenu de ces obligations de neutralité ? Les fédérations peuvent-elles (ou doivent-elles), par exemple, faire respecter la discrétion religieuse lors du déroulement des compétitions ? Ont-elles un devoir de vigilance en matière de lutte contre le prosélytisme ? Le projet de loi devra trancher.
Au-delà de la question des fédérations sportives, l’embarras sur les obligations des délégataires de service public et de leur personnel en matière de neutralité religieuse est tel que le Président de la République, annonçant le 2 octobre le projet de loi contre le séparatisme, a indiqué que celui-ci soumettrait les délégataires de service public aux obligations de neutralité. Or la jurisprudence est déjà dans ce sens (Cass. soc. 19 mars 2013, n° 12- 11.690, caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis[1]). S’agirait-il alors seulement de codifier cette jurisprudence ? Et cette codification aura-t-elle un effet sur les pratiques ?
Car le problème est bien là : les responsables (publics et a fortiori privés) sont loin d’avoir les idées claires sur leurs devoirs ou sur leurs pouvoirs en matière de neutralité religieuse. Peuvent-ils (ou doivent-ils) faire obstacle à l’ostentation religieuse manifestée par leur personnel ? par leurs usagers ?
Dans le doute, ils glissent la poussière sous le tapis pour éviter des conflits ou par crainte d’une censure hiérarchique, médiatique ou juridictionnelle. La frilosité des hiérarchies se plie le plus souvent aux injonctions du politiquement correct.
Cette frilosité s’explique en bonne partie par le fait que la légalité des dispositifs retenus par les arrêtés municipaux ou les règlements intérieurs des entreprises et des associations, pour mettre en œuvre le principe de neutralité religieuse, sont contestés par des groupes de pression puissants qui obtiennent souvent gain de cause auprès des juges au nom de la liberté religieuse et de la lutte contre les discriminations.
Même dans les services publics « organiques » (ceux dont les règles d’organisation et de fonctionnement relèvent incontestablement du droit public), la neutralité est souvent battue en brèche. On pense par exemple à ce médecin hospitalier qui refusait de couper sa barbe musulmane et dont le stage a été interrompu pour ostentation religieuse : le juge administratif a donné tort à la direction de l’hôpital (12 février 2020, n° 418299).
Les règles et pratiques actuelles ne suffisent donc pas. Il y a trop de flou dans les esprits, trop de « trous dans la raquette ».
- Le projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains est loin, en l’état, de combler ce vide juridique
Le projet de loi tendant à lutter contre le séparatisme islamiste, en cours de préparation, suffira-t-il à combler le vide juridique qui vient d’être évoqué ?
A s’en tenir au discours des Mureaux, ce projet comporte des mesures utiles, voire audacieuses (limitation stricte de l’instruction dans la famille par exemple), mais parcellaires et lacunaires.
Ainsi, il ne semble rien dire sur l’ostentation religieuse dans les lieux publics et dans le secteur privé.
Il ne semble rien prévoir pour caractériser pénalement ou disciplinairement la radicalisation (on ne prétend pas ici que ce soit facile !)
Il ne semble souffler mot de l'immigration. Or une immigration incontrôlée (nous en sommes à près d’un demi-million d’entrées par an, dont la grande majorité provient de pays musulmans) compromet l’intégration et favorise la ghettoïsation, terreau du séparatisme. Que cela plaise ou non, immigration et séparatisme sont liés.
Il ne semble rien dire sur la nationalité et l’assimilation.
Le projet, en l’état, ne semble traiter ni des expulsions, ni de l’asile, alors que l’actualité la plus atroce montre la nécessité, à cet égard, d’un renforcement des dispositions du code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile.
Rien ne semble non plus concerner la lutte contre le djihadisme. On sent qu’on a voulu cantonner le sujet « séparatisme », méconnaissant la continuité, là encore révélée par les faits (l’assassinat de Samuel Paty en est la sinistre démonstration), entre communautarisme, islam politique, terrorisme, ainsi que les liens entre immigration subie, ensauvagement et fragmentation de la société.
Le projet semble élargir les possibilités de dissolution des associations en cas d’atteinte à la dignité de la personne ou de pression sur des personnes vulnérables, mais il semble faire l’impasse sur les autres motifs de dissolution en lien avec le communautarisme ou la radicalisation, et surtout sur les groupements de fait.
Le projet de loi semble s’atteler à la question de l’héritage inégal entre filles et garçons et à celle des certificats de virginité, mais il ne semble traiter de la lutte contre la polygamie qu’au travers de la délivrance des titres de séjour, ce qui n’ajoute pas grand-chose au droit en vigueur.
Les nouvelles règles sur les associations cultuelles ou à vocation cultuelle paraissent moins inutilement contraignantes que dans le projet élaboré en 2018, mais cela semble demeurer une usine à gaz qui va gêner les cultes ne posant aucun problème à la République, sans avoir de prise réelle sur les radicaux.
Je dis à chaque fois « semble » car nous ne savons rien de précis sur le contenu du projet de loi. Il faudrait disposer d’un texte pour opiner valablement. Les évènements récents conduiront en outre à lui ajouter de la substance.
En dépit de ce contexte pressant, l’édulcoration du projet évoqué par le Chef de l’Etat le 2 octobre reste possible dès l’élaboration interministérielle du texte, comme en cours de procédure législative, puis au Conseil constitutionnel, celui-ci pouvant être saisi ex ante ou ex post.
Même après les fermes propos d’Emmanuel Macron, même après l’assassinat de Samuel Paty, l’autocensure sera une tentation.
Ainsi, dans le domaine du sport, le projet osera-t-il imposer aux fédérations de veiller à ce que leurs adhérents ne manifestent pas leur appartenance religieuse de façon ostentatoire ? Ce ne serait pourtant qu’un décalque de la loi de 2004 prohibant les signes d’appartenance religieuse ostentatoires dans les écoles, collèges et lycées publics.
Que peut encore faire l’Etat pour réguler les flux migratoires ?
Depuis une quarantaine d’années, notre législation et nos pratiques évoluent dans un sens globalement de plus en plus libéral à l’égard de l’accueil et du séjour des étrangers : délivrance peu discriminée des visas, appréciation de plus en plus lâche des capacités d’intégration et de la maîtrise de la langue française lors de la délivrance du premier titre de séjour, renouvellement automatique de la carte de résident, examen insuffisant des demandes d’asile au regard des problèmes que peut poser le demandeur pour l’ordre public. Je renvoie à une actualité sinistre.
Inversement, les règles d’éloignement sont de plus en plus complexes pour l’administration tant du point de vue de la procédure (qui fait intervenir à la fois le juge judiciaire et le juge administratif) que des conditions de fond. Il est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’il y a une quarantaine d’années d’expulser un étranger dont la présence met en péril l’ordre public.
Plus généralement, les pouvoirs de police administrative relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers se sont restreints au cours des quarante dernières années. Par hantise de l’arbitraire administratif et dans le souci de mieux protéger les droits fondamentaux des étrangers, on a dépouillé le ministère de l’intérieur de beaucoup de ses marges de manœuvre. Il en est résulté une perte d’efficacité de l’action de l’Etat (que traduisent les statistiques) et un déséquilibre dans la conciliation nécessaire entre droits individuels des étrangers et intérêts supérieurs de la Nation.
Un certain nombre de ces dispositions et de ces pratiques pourraient certes être revues dans un sens plus rigoureux, de manière à limiter l’entrée ou le maintien d’indésirables sur notre sol. Mais tout durcissement entrerait en délicatesse avec la jurisprudence des cours suprêmes.
S’agissant du contrôle des flux migratoires, les jurisprudences des cours suprêmes et supranationales « formatent » en effet les politiques publiques.
Qu’entendez-vous par « formatent » ?
Un bon exemple de formatage d’une politique publique par la jurisprudence des cours suprêmes est le regroupement familial, qui est (avec le droit d’asile et les entrées irrégulières) une importante source de l’immigration en France. Il recouvre deux mécanismes : le regroupement familial stricto sensu dans lequel le « regroupant » est un étranger résidant régulièrement en France (13000 personnes par an) ; et le cas, d’impact six fois plus important sur les flux migratoires, du Français issu de l’immigration faisant venir en France son conjoint épousé dans le pays d’origine.
Cependant, le regroupement familial se voit reconnaître par le Conseil constitutionnel, en 1993, une protection constitutionnelle, au nom du droit de mener une vie familiale normale (n° 93-325 DC, 13 août 1993). Se fondant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (" La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement "), auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, et qui fait donc partie intégrante du « bloc de constitutionnalité », le Conseil constitutionnel juge que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».
Le droit au regroupement familial dispose également d’un fondement inébranlable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), surtout à partir du début des années 2000. Cette jurisprudence est abondante. Sa base textuelle se trouve dans le « droit à la protection de la vie privée et familiale » (article 8 de la Convention). La portée ainsi attribuée à son article 8 aurait surpris les représentants des Etats signataires de la Convention.
Le regroupement familial est désormais gravé dans le marbre du droit de l’Union européenne, puisque la Charte des droits fondamentaux de l’Union rend applicable l’ensemble du droit issu de la Convention aux politiques menées, aux niveaux tant européen que national, dans le champ du droit de l’Union et qu’une directive du 22 septembre 2003 organise ce droit en conformité avec la jurisprudence de la CEDH.
Les Etats peuvent certes s’opposer à un regroupement familial pour des motifs d’ordre public, mais seulement au cas par cas et au sens strict de la notion d’ordre public. Ils peuvent aussi imposer un niveau minimal de ressources « autonomes » à condition de ne pas fixer ce niveau au-dessus de celui des foyers « autochtones » modestes, présentant la même composition familiale.
Tout ce qui vient d’être dit du regroupement familial stricto sensu vaut a fortiori pour la venue en France du conjoint d’une personne de nationalité française.
Si l’obstacle constitutionnel était levé, demeurerait donc l’obstacle de la CEDH et des conséquences qu’a tirées de sa jurisprudence le droit européen dérivé (règlements et directives européens). Or le droit de l’Union prévaut sur le droit français, quel que soit le niveau de celui-ci dans la hiérarchie nationale des normes.
L’invocation d’un besoin national impérieux (alléger les flux pour mieux résoudre les problèmes d’intégration) serait inopérante, car, précisément, le regroupement familial est conçu positivement par la CEDH et par le droit européen dérivé comme contribuant à une bonne insertion des étrangers, à la paix civile et au bien-être économique.
Est-il satisfaisant, dans une démocratie représentative, qu'un élément aussi significatif de la politique migratoire que le regroupement familial (dans ses deux composantes) soit à ce degré déterminé par les juges, au regard de principes intangibles, plutôt qu'assumé par les représentants du peuple et ajusté par eux en fonction de l'évolution des circonstances et du degré de consentement de la Nation ?
Le droit européen limite-t-il à d’autres égards l’action des pouvoirs publics français en matière d’immigration et d’asile?
Les jurisprudences de la CEDH et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) configurent les politiques d’immigration sous bien d’autres aspects.
Ainsi, en matière d’accueil des demandeurs d’asile, la CEDH condamne la reconduite d’une embarcation interceptée en mer à son pays de provenance, même dans le cadre d’un accord bilatéral assurant la sécurité des intéressés (décision Hirsii Jamaa c/ Italie, 23 février 2012). L’examen doit se faire au cas par cas, dans le pays de destination. La CJUE ajoute que le placement en rétention du demandeur doit être exceptionnel. Les motifs d’ordre public pour lesquels ce placement est possible « supposent, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». L’idée de « hot spots » fermés est donc condamnée par cette jurisprudence. Tout demandeur doit pouvoir se déplacer librement tant que son dossier n’est pas clos. S’il est débouté, il ne sera reconduit dans son pays d’origine que dans de rares cas, soit parce qu’il s’est évanoui dans la nature, soit parce que ses autorités nationales ne coopèrent pas à son retour, soit parce que ce retour le met en danger, ce qui, juridiquement, interdit la mesure d’éloignement.
En matière d’entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne, la CJUE regarde les contrôles de police dans la bande de 20 km en deçà d’une frontière intérieure à l’espace Schengen comme un détournement des règles de Schengen, contraire au principe de libre circulation des personnes (arrêt Melki, 22 juin 2010). Cette jurisprudence a conduit à reporter la charge du contrôle sur les seuls Etats membres présentant une frontière extérieure, avec les difficultés que l’on sait en Grèce et en Italie.
En matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, la CJUE écarte tout traitement pénal de l’irrégularité du séjour, qu’il s’agisse du placement en garde à vue (arrêt Achughbabian, 6 décembre 2011) ou des peines d’emprisonnement (arrêt El Dridi, 28 avril 2011). Pour la CJUE, la « directive retour » de décembre 2008[1] serait « privée d’effet utile » (autrement dit vidée de son contenu) si une garde à vue, qui relève de la procédure pénale, était possible contre un étranger en situation irrégulière, sans avoir épuisé au préalable les procédures d’éloignement prévues par cette directive. Or la garde à vue était, en France, la première étape de l’éloignement. C’était la condition matérielle de la mise en œuvre des procédures de reconduite, admises par la directive… Pour se conformer à cet arrêt, que personne n’avait prévu, il a fallu inventer une « retenue » ayant toutes les caractéristiques objectives de la garde à vue, sans en porter l’étiquette : solution à la fois compliquée et hypocrite.
Les jurisprudences du Conseil constitutionnel et des deux cours européennes sur le regroupement familial et l’asile interdisent de soumettre la plus grande partie de l’actuel flux d’entrées à une politique de quotas d’immigration, pourtant mise en avant par nombre de personnalités politiques françaises et soutenue majoritairement par l’opinion.
Les questions migratoires sont incontournables car liées, compte tenu des cultures d’origine des migrants, à la sauvegarde du modèle républicain. A cet égard, il faudrait réduire le flux d’entrée. Dans l’état du monde contemporain, avec la montée du fondamentalisme comme phénomène géopolitique durable et l’explosion démographique en Afrique, une immigration massive en provenance d’outre Méditerranée est ingérable. A court terme, elle déborde nos dispositifs d’accueil ; à moyen terme, elle compromet l’intégration ; à plus long terme, elle expose la société française à de graves déchirements. Bien sûr, une partie de ce flux s’intègrera tant bien que mal et parfois très bien. Mais notre devoir à l’égard des générations futures est de regarder en face les évidences quantitatives et la prégnance des facteurs culturels. Mamoudou Gossama (sauveteur du petit garçon coincé sur son balcon) ne doit pas être le héros qui nous cache la forêt des ghettos. Toutefois, la Constitution et les engagements internationaux de la France ne facilitent pas l’adoption de mesures de régulation, c’est le moins qu’on puisse dire.
En matière d’asile, il faudrait prendre en compte les capacités d’assimilation et le risque pour l’ordre public non seulement de ceux qui ont commis ou participé à des actes terroristes, mais également de ceux qui adhèrent à l’idéologie qui en constitue le terreau. Mais la Convention de Genève, telle qu’elle est interprétée par les cours suprêmes, ne le permet pas.
Comment expliquer, sur ces questions, un tel décalage entre les discours volontaristes des politiques et la timidité de leurs actes, l’attachement intact des Français à un Etat censé être protecteur et tout puissant et la réalité qui évoque un Gulliver entravé?
Sur des sujets aussi brûlants dans le débat public, l’opinion ne perçoit pas les limites juridiques auxquelles se heurtent les projets des politiques. La plupart de nos concitoyens sont convaincus que les flux migratoires peuvent être régulés en vertu de choix politiques nationaux. Notre peuple aspire à ce que ses dirigeants se donnent « les coudées franches » en matière d’immigration comme de sécurité. En France, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis avec une Cour suprême bicentenaire, le public n’a pas intériorisé le pouvoir du juge et pense que le politique peut tout faire s’il y est mandaté par le suffrage universel.
Bien sûr, comme l’Histoire nous l’a appris, la démocratie ne saurait se réduire à la volonté majoritaire qui peut être tyrannique et dont les risques de dérapage sont redoutables. Les chartes des droits et les juges qui en assurent le respect effectif sont de nécessaires garde fous. Mais doivent-ils être des corsets face à une volonté populaire constamment manifestée sur des sujets qui la touchent directement, parce qu’ils ont trait à la continuité de sa culture et à la pérennité de son mode de vie ? Or c’est bien la situation à laquelle nous sommes parvenus, en France comme dans la plupart des pays occidentaux.
Est-il souhaitable et possible de ramener à la raison les juridictions dont on estimerait qu’elles s’opposent de façon idéologique aux décisions de l’Etat ?
La révision constitutionnelle permet de restituer aux pouvoirs publics des marges de manœuvre dans des domaines où existent des obstacles constitutionnels (ou résultant de la jurisprudence des cours suprêmes) à l’efficacité des politiques publiques, qu’il s’agisse (dans le domaine qui nous occupe) de l’intervention obligatoire du juge judiciaire en matière de rétention administrative des étrangers en voie d’éloignement, ou du confinement des radicalisés dangereux, ou du plafonnement des flux migratoires.
Une option plus forte, à vrai dire révolutionnaire, serait d’inscrire dans la Constitution une possibilité parlementaire de « passer outre » aux jurisprudences paralysantes des cours suprêmes. On peut imaginer à cet égard de « forcer » le maintien en vigueur d’une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (ou contraire au traité par une cour supranationale), dès lors que le Parlement se prononcerait expressément en ce sens par un vote à la majorité qualifiée intervenant dans un certain délai à compter de la censure. Voilà qui résoudrait la contradiction croissante entre démocratie des droits et démocratie représentative.
A la suite de Montesquieu, qu’il soit permis d’énoncer deux évidences : la liberté est inséparable de l’action positive (et non pas seulement de l’abstention) de l’Etat en faveur de la sûreté de chacun ; L’Etat de droit doit rester le correctif de la souveraineté, non dévitaliser cette dernière. Or traités, révisions constitutionnelles et percées jurisprudentielles concourent, depuis un demi-siècle, à la contraction des marges de manœuvre des pouvoirs soumis au suffrage, particulièrement dans le domaine régalien ; à la précarité de la loi, vulnérable à de multiples contentieux ; au déclin de la souveraineté.
Remonter la pente imposerait, au-delà du changement des mentalités et de la révision de la Constitution, une renégociation de nos engagements internationaux restituant leur indispensable primauté tant à la souveraineté nationale qu’à la loi votée par les élus de la Nation.
S’agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la France pourrait rétablir la réserve qu’elle avait initialement faite (et levée en 1981) au recours individuel devant la Cour de Strasbourg. S’agissant de la Cour de justice de l’Union européenne, les traités européens pourraient être modifiés pour priver de valeur normative la Charte européenne des droits fondamentaux et exclure la compétence de la Cour dans les domaines régaliens.
Un traité se renégocie. La Constitution se révise.
[1] Directive du Parlement européen et du Conseil 16 décembre 2008 sur les normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
ainsi que celui ci
Pourquoi et comment légiférer en matière de laïcité et de valeurs républicaines ?
Le projet de loi « visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains » (alias loi contre le « séparatisme ») traite d’une immense question de société : l’intégrité nationale, aujourd’hui menacée par l’archipélisation de la société.
Le règlement de cette question appelle des réponses culturelles, psychologiques, économiques, sociales, éducatives. Mais, en bonne partie, il appelle aussi des réponses juridiques, car la cohérence d’une société s’exprime et se cimente au travers des normes qu’elle se donne.
A cet égard, il faut se rendre à l’évidence : le droit actuel est insuffisant pour combattre l’islamisme (I) ; le projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains est loin, en l’état, de combler ce vide juridique (II) ; même avec un projet de loi rehaussé dans ses ambitions, beaucoup d’incertitudes subsisteront dont la dissipation justifierait une initiative constitutionnelle (III).
- Le droit actuel est insuffisant pour combattre l’islamisme
Sur toutes les questions touchant aux valeurs de la République, à la laïcité et à l’intégration, la République a besoin de repères simples à énoncer, de lignes rouges nettes.
Or les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits.
Trois raisons expliquent cette confusion :
- Tout d’abord, la loi de séparation du 9 décembre 1905 ne règle pas toutes les questions que nous estimons intuitivement relever du respect du principe de laïcité (a) ;
- Pour une large part, nos exigences en matière de laïcité relèvent de la coutume (b) ;
- L’incertitude juridique règne sur tout ce qui, en dehors du champ strict de la loi de la séparation, soulève des questions se rattachant lato sensu à la notion de laïcité (c).
- La loi de séparation du 9 décembre 1905 ne règle pas toutes les questions que nous estimons intuitivement relever du respect du principe de laïcité
On a pu dire que la loi de 1905 était le code de la laïcité français. C’est en partie vrai, mais en partie seulement. Les règles juridiques et, plus encore, les usages que nous considérons comme inhérents à la laïcité ne se rattachent pas tous à la loi de 1905.
La loi de 1905 ne suffit ni à complètement définir la laïcité à la française (le terme de laïcité n’y figure d’ailleurs pas), ni à contrer victorieusement le communautarisme et l’intégrisme Comme la plus belle fille du monde, la loi de séparation ne peut donner que ce qu’elle a.
A côté de dispositions précises (édifices du culte, associations cultuelles, police des cultes), que la loi ordinaire a occasionnellement assouplies (construction de mosquées), mais qu’elle pourrait aussi renforcer (répression des discours de haine dans les lieux de culte), la loi de séparation comporte, en ses deux premiers articles, des principes généraux de valeur constitutionnelle.
De ces principes généraux, la jurisprudence et la doctrine ont tiré des conséquences importantes (par exemple en matière de neutralité de l’administration). Mais ces principes généraux ne sont pas d’application illimitée.
Ainsi, à la différence de l’obligation de neutralité pesant sur les agents publics, qui découle de la loi de 1905, le régime applicable aux usagers des services publics, celui applicable aux entreprises et aux associations, celui régissant l’espace public, ne résultent pas de la loi de séparation.
Il a fallu des lois spéciales pour interdire l’ostentation religieuse par les élèves de l’école publique (2004) et la dissimulation du visage dans l’espace public (2010).
Il a fallu maints tâtonnements jurisprudentiels pour aboutir à la solution adoptée par la Cour de cassation en 2014 dans l’affaire Baby Loup, solution elle-même remise en cause par un avis du Comité des droits de l’homme de l’ONU d’août 2018 qui a désavoué la France.
- Dans la tradition républicaine, la laïcité a un sens juridique (loi de séparation de 1905), mais aussi, plus largement, coutumier.
Sens juridique :
- Sauf exceptions (aumôneries scolaires, militaires et pénitentiaires), les personnes publiques, que ce soit au travers des règles qu’elles instituent, des deniers qu’elles manient, des procédures qu’elles mettent en œuvre ou des décisions individuelles qu’elles prennent, doivent être indifférentes aux appartenances religieuses, comme d’ailleurs ethniques ou sexuelles.
- Réciproquement, nul ne peut se prévaloir de ses croyances pour se soustraire à la règle commune édictée par une collectivité publique. Ainsi en a jugé le Conseil constitutionnel le 19 novembre 2004, en examinant le Traité établissant une Constitution pour l’Europe.
La loi religieuse s’efface devant la loi civile. C’est déjà beaucoup. C’est plus que ce que font croire les tenants d’une « laïcité inclusive ». Mais il y a plus.
Au-delà de la loi de 1905, la laïcité a un sens comportemental qui a fait longtemps consensus : le pacte de discrétion. Chacun peut croire et pratiquer librement, mais sa croyance doit rester discrète dans l’espace public.
Un modus vivendi s’est enraciné en France autour de l’idée que la religion se situe dans le fors intérieur, dans la sphère privée et dans les lieux de culte. Et qu’elle ne peut déborder dans l’espace public que dans certaines limites (processions traditionnelles par exemple).
Un pacte de non ostentation a été tacitement scellé dans ce cadre. Il a permis d’enterrer la hache de guerre entre l’Eglise dominante et l’Etat. Il a garanti la cohabitation paisible de la croyance et de l’incroyance. Il a autorisé agnostiques et fidèles de diverses religions à « faire société » dans une respectueuse retenue mutuelle. Chacun y a trouvé son compte.
La laïcité est ainsi devenue un principe d’organisation permettant de « faire société » en mettant en avant ce qui rassemble plutôt que ce qui sépare.
Ce principe d’organisation est en résonance avec chacun des trois termes de la devise de la République :
- Le lien avec la liberté, c’est la construction de l’autonomie personnelle et de l’esprit critique, tout particulièrement à l’école, grâce à la mise à distance des assignations identitaires ;
- Le lien avec l’égalité, c’est la commune appartenance à la Nation, le partage de la citoyenneté et l’identité des droits et devoirs qu’elle implique ;
- Le lien avec la fraternité, c’est ce souci d’autrui qui me conduit, par égard pour lui, à mettre en avant ce qui nous unit et en sourdine mes allégeances particulières.
Toutefois, pour inscrite qu’elle soit dans nos mœurs, pour cruciale qu’elle soit pour la cohésion sociale, pour inhérente qu’elle soit au pacte républicain, cette dimension coutumière de la laïcité n’est pas toujours, tant s’en faut, étayée par le droit positif.
Elle n’en avait pas besoin jusqu’ici, précisément parce qu’elle était inscrite dans nos mœurs.
- L’incertitude juridique, entretenue par les controverses idéologiques contemporaines et la montée du communautarisme, règne sur tout ce qui, en dehors du champ strict de la loi de la séparation, pose des questions se rattachant à la notion de laïcité lato sensu
L’incertitude est en effet grande sur des questions liées à la laïcité ou, plus généralement, au communautarisme : port du burkini et non mixité dans les piscines publiques ; organisation du ramadan et offre de repas hallal dans les établissements d’enseignement publics et dans les services publics ; conséquences à tirer d’un refus de la mixité ou de la neutralité par un agent public ; respect de l’égalité hommes femmes et non prosélytisme dans le milieu du sport ; prières publiques ; possibilité pour les associations et les entreprises de prescrire à leur personnel des obligations de neutralité religieuse ; règles de vie commune applicables au service national universel...
L’incertitude est non mois grande sur des sujets relatifs à la lutte contre la radicalisation et au maintien de l’ordre républicain : révocation des personnels radicalisés ; fermeture des mosquées où se prêchent des discours de haine ; dissolution des associations dont les activités sont contraires à l’ordre public ; suivi des radicaux sortis de prison ; répression de la polygamie ….
On convoque le principe de laïcité et les valeurs de la République à tout bout de champ, mais qui a des idées vraiment précises sur le champ d’application de ces concepts et leurs implications normatives ?
La jurisprudence elle-même est hésitante et contournée, comme l’illustrent deux thèmes qui ont défrayé la chronique depuis quelques années : la tenue des accompagnatrices de sorties scolaires et les crèches de Noël dans les hôtels de ville.
Tout récemment, on a vu le Défenseur des droits remettre en cause l’obligation de fournir une photo tête nue pour le « passe Navigo », au motif que cette obligation constituerait une discrimination indirecte contre les musulmanes. Le juge des référés du Conseil d’Etat a pourtant considéré (à propos du turban sikh) qu’on ne pouvait exciper de sa liberté de croyance pour refuser de poser tête nue pour une photographie d’identité officielle (ordonnance du 6 mars 2006, No 289947, Association United Sikhs).
Incertitudes encore pour le sport, domaine crucial lorsqu’on connaît l’intensité de l’entrisme islamiste dans les clubs sportifs.
Au regard du principe de neutralité, y a-t-il lieu de distinguer fédérations agréées, fédérations délégataires et associations affiliées ? Doivent-elles toutes respecter et faire respecter la neutralité religieuse ? Pour l’ensemble de leurs activités ou partie d’entre elles ? Et quel est exactement le contenu de ces obligations de neutralité ? Les fédérations peuvent-elles (ou doivent-elles), par exemple, faire respecter la discrétion religieuse lors du déroulement des compétitions ? Ont-elles un devoir de vigilance en matière de lutte contre le prosélytisme ? Le projet de loi devra trancher.
Au-delà de la question des fédérations sportives, l’embarras sur les obligations des délégataires de service public et de leur personnel en matière de neutralité religieuse est tel que le Président de la République, annonçant le 2 octobre le projet de loi contre le séparatisme, a indiqué que celui-ci soumettrait les délégataires de service public aux obligations de neutralité. Or la jurisprudence est déjà dans ce sens (Cass. soc. 19 mars 2013, n° 12- 11.690, caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis[1]). S’agirait-il alors seulement de codifier cette jurisprudence ? Et cette codification aura-t-elle un effet sur les pratiques ?
Car le problème est bien là : les responsables (publics et a fortiori privés) sont loin d’avoir les idées claires sur leurs devoirs ou sur leurs pouvoirs en matière de neutralité religieuse. Peuvent-ils (ou doivent-ils) faire obstacle à l’ostentation religieuse manifestée par leur personnel ? par leurs usagers ?
Dans le doute, ils glissent la poussière sous le tapis pour éviter des conflits ou par crainte d’une censure hiérarchique, médiatique ou juridictionnelle. La frilosité des hiérarchies se plie le plus souvent aux injonctions du politiquement correct.
Cette frilosité s’explique en bonne partie par le fait que la légalité des dispositifs retenus par les arrêtés municipaux ou les règlements intérieurs des entreprises et des associations, pour mettre en œuvre le principe de neutralité religieuse, sont contestés par des groupes de pression puissants qui obtiennent souvent gain de cause auprès des juges au nom de la liberté religieuse et de la lutte contre les discriminations.
Même dans les services publics « organiques » (ceux dont les règles d’organisation et de fonctionnement relèvent incontestablement du droit public), la neutralité est souvent battue en brèche. On pense par exemple à ce médecin hospitalier qui refusait de couper sa barbe musulmane et dont le stage a été interrompu pour ostentation religieuse : le juge administratif a donné tort à la direction de l’hôpital (12 février 2020, n° 418299).
Les règles et pratiques actuelles ne suffisent donc pas. Il y a trop de flou dans les esprits, trop de « trous dans la raquette ».
- Le projet de loi visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains est loin, en l’état, de combler ce vide juridique
Le projet de loi tendant à lutter contre le séparatisme islamiste, en cours de préparation, suffira-t-il à combler le vide juridique qui vient d’être évoqué ?
A s’en tenir au discours des Mureaux, ce projet comporte des mesures utiles, voire audacieuses (limitation stricte de l’instruction dans la famille par exemple), mais parcellaires et lacunaires.
Ainsi, il ne semble rien dire sur l’ostentation religieuse dans les lieux publics et dans le secteur privé.
Il ne semble rien prévoir pour caractériser pénalement ou disciplinairement la radicalisation (on ne prétend pas ici que ce soit facile !)
Il ne semble souffler mot de l'immigration. Or une immigration incontrôlée (nous en sommes à près d’un demi-million d’entrées par an, dont la grande majorité provient de pays musulmans) compromet l’intégration et favorise la ghettoïsation, terreau du séparatisme. Que cela plaise ou non, immigration et séparatisme sont liés.
Il ne semble rien dire sur la nationalité et l’assimilation.
Le projet, en l’état, ne semble traiter ni des expulsions, ni de l’asile, alors que l’actualité la plus atroce montre la nécessité, à cet égard, d’un renforcement des dispositions du code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile.
Rien ne semble non plus concerner la lutte contre le djihadisme. On sent qu’on a voulu cantonner le sujet « séparatisme », méconnaissant la continuité, là encore révélée par les faits (l’assassinat de Samuel Paty en est la sinistre démonstration), entre communautarisme, islam politique, terrorisme, ainsi que les liens entre immigration subie, ensauvagement et fragmentation de la société.
Le projet semble élargir les possibilités de dissolution des associations en cas d’atteinte à la dignité de la personne ou de pression sur des personnes vulnérables, mais il semble faire l’impasse sur les autres motifs de dissolution en lien avec le communautarisme ou la radicalisation, et surtout sur les groupements de fait.
Le projet de loi semble s’atteler à la question de l’héritage inégal entre filles et garçons et à celle des certificats de virginité, mais il ne semble traiter de la lutte contre la polygamie qu’au travers de la délivrance des titres de séjour, ce qui n’ajoute pas grand-chose au droit en vigueur.
Les nouvelles règles sur les associations cultuelles ou à vocation cultuelle paraissent moins inutilement contraignantes que dans le projet élaboré en 2018, mais cela semble demeurer une usine à gaz qui va gêner les cultes ne posant aucun problème à la République, sans avoir de prise réelle sur les radicaux.
Je dis à chaque fois « semble » car nous ne savons rien de précis sur le contenu du projet de loi. Il faudrait disposer d’un texte pour opiner valablement. Les évènements récents conduiront en outre à lui ajouter de la substance.
En dépit de ce contexte pressant, l’édulcoration du projet évoqué par le Chef de l’Etat le 2 octobre reste possible dès l’élaboration interministérielle du texte, comme en cours de procédure législative, puis au Conseil constitutionnel, celui-ci pouvant être saisi ex ante ou ex post.
Même après les fermes propos d’Emmanuel Macron, même après l’assassinat de Samuel Paty, l’autocensure sera une tentation.
Ainsi, dans le domaine du sport, le projet osera-t-il imposer aux fédérations de veiller à ce que leurs adhérents ne manifestent pas leur appartenance religieuse de façon ostentatoire ? Ce ne serait pourtant qu’un décalque de la loi de 2004 prohibant les signes d’appartenance religieuse ostentatoires dans les écoles, collèges et lycées publics.
- Fût-ce avec un projet de loi rehaussé dans ses ambitions, beaucoup d’incertitudes subsisteront dont la dissipation justifierait une initiative constitutionnelle
Pour dissiper les incertitudes qui subsisteront, peut-on compter sur le mûrissement du débat public (aujourd’hui très nourri) relatif aux questions de laïcité et aux valeurs de la République ? Sur l’éclairage des experts ? Sur les travaux des divers organismes ayant vocation à se prononcer en la matière ?
On peut en douter, car, pour des raisons idéologiques, qui survivront à l’ignominie de Conflans-Sainte-Honorine, comme elles ont survécu à l’horreur des massacres de Charlie et du Bataclan, le concept de laïcité, comme celui de « valeurs de la République », sont de plus en plus grevés d’arrières pensées et brouillés dans les débats. Ces notions sont aujourd’hui très invoquées rhétoriquement, mais elles sont aussi très « floutées » sémantiquement, y compris par des instances officielles.
L’extrême gauche « décoloniale », qui sait se faire entendre et dont la capacité d’intimidation est grande, notamment dans les milieux académiques et médiatiques, voit dans la laïcité le pavillon de complaisance du « racisme systémique ».
Mais la remise en cause de la laïcité à la française se fait principalement « à bas bruit », prenant la forme moins d’une contestation frontale que d’un affadissement sournois. Rendent compte de cet affadissement les adjectifs dont le mot laïcité se voit désormais affublé : ouverte, inclusive, positive.
D’où la difficulté de rédiger des « modes d’emploi » et autres vade-mecum.
Les uns sont inspirés par le souci de forger des valeurs partagées, les autres obnubilés par la lutte contre les discriminations ; les uns cherchent à construire un sentiment d’appartenance commune à la Nation, les autres à valoriser les différences ; les uns incitent à mettre à distance les assignations communautaires et religieuses, les autres à accorder des droits spécifiques à chaque minorité ; les uns sont axés sur les devoirs de l’individu à l’égard de la collectivité, les autres sur ses droits.
Il est temps de sortir de cette schizophrénie et de remettre les choses d’aplomb.
Le projet de loi peut être utile à cet effet, au moins comme signal. Mais il ne suffira pas.
A vrai dire, seule une initiative constitutionnelle peut étayer dans le droit la tradition républicaine.
A cet égard, mériterait de prospérer la proposition de loi constitutionnelle « visant à garantir la prééminence des lois de la République » déposée au Sénat, au mois de février dernier, par Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille et adoptée par la Haute assemblée le 19 octobre.
Elle pose une règle simple, : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune », cette « règle commune » s’entendant, comme le précise l’exposé des motifs de la proposition, des lois et règlements, mais aussi des règlements intérieurs des entreprises et associations.
Tout en allant plus loin, cette règle est dans le droit fil de ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel le 19 novembre 2004 à propos du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, à savoir que :
- « Les articles 1er à 3 de la Constitution s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » (considérant 16, qui fait écho à la décision rendue le 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales et minoritaires) ;
- « Les dispositions de l'article 1er de la Constitution, aux termes desquelles « la France est une République laïque », interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (considérant 18).
[1] « Les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. Ayant retenu que la salariée exerce ses fonctions dans un service public en raison de la nature de l’activité exercée par la caisse, qui consiste notamment à délivrer des prestations maladie aux assurés sociaux (…), peu important que la salariée soit ou non directement en contact avec le public, la cour d’appel a pu en déduire que la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse était nécessaire à la mise en œuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public… »